Chimiorésistance dans la trypanosomose humaine africaine

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L’apparition de résistance dans les thérapies actuellement utilisées constitue un problème majeur. La résistance face aux thérapies antiparasitaires émerge suite à une modification génétique (mutation, délétion ou amplification) qui altère la prise de médicament, son métabolisme ou encore son interaction avec sa cible.
Le trypanosome se nourrit sur l’hôte. Par conséquent, il possède des transporteurs à sa surface cellulaire et dans sa poche flagellaire permettant le passage de nutriments d’un organisme à l’autre.
Les molécules administrées lors d’un traitement antiparasitaire peuvent ainsi entrer dans la cellule du parasite via ses transporteurs. Cependant, si ces transporteurs deviennent défectueux suite à une modification génétique, les trypanosomes ne sont plus éradiqués mais développent des résistances.
Les échecs du traitement du mélarsoprol ont considérablement augmenté cette dernière décennie (20 à 30 % d’échecs en plus dans certaines régions) [145]. Une des causes probables de cette recrudescence serait le développement de résistance face aux médicaments chez le parasite. Ce problème a été décelé dès les années 1950. Depuis, les recherches pour faire face à ces résistances sont très actives. Elles se concentrent notamment sur la compréhension des causes de ce phénomène pouvant déboucher sur l’élaboration d’une « stratégie d’attaque ». Enfin, en se basant sur ces études, ou de manière indépendante, le développement de nouveaux agents antiparasitaires reste primordial.
Comme évoqué précédemment, les médicaments antiparasitaires administrés tels que les mélamines à base d’arsenic (mélarsoprol) et les diamidines (pentamidine) sont importés dans le trypanosome par les mêmes transporteurs utilisés pour l’apport de nutriments. Chez les cellules résistantes, des dommages au niveau de certains transporteurs ont été constatés.
C’est le cas notamment des transporteurs nommés P2 pour purine transporter 2 (figure 24) en raison de leurs substrats physiologiques, l’adénine et l’adénosine, toutes deux en compétition avec le mélarsoprol [145]. Une délétion dans le gène TbAT1 encodant pour le transporteur P2 et des mutations entraînant une perte de fonction ont été reportées chez les souches résistances au mélarsoprol et à la pentamidine. Par conséquent, puisque les transporteurs P2 sont défectueux, le parasite n’ingère plus de molécules médicamenteuses et survit.
Par ailleurs, les aquaglycéroporines (AQPs) sont des protéines permettant le passage de l’eau et de petits solutés à travers la membrane. Le type 2 de ces AQPs (AQP2) chez Trypanosoma brucei (figure 24) serait également transporteur de mélarsoprol et de pentamidine. Des mutations affectant les transporteurs AQP2 seraient également liées aux phénomènes de résistance [146].
Au total, une modification au niveau des gènes TbAT1 et AQP2 induiraient un dysfonctionnement des transporteurs P2 et AQP2, respectivement, tous deux impliqués dans l’entrée de pentamidine et de mélarsoprol dans le parasite. Celui-ci deviendrait ainsi résistant aux médicaments et se trouve hors de danger.


Figure 24 : Modèle schématique du transport du mélarsoprol et de la pentamidine dans Trypanosoma brucei [146].

Les deux molécules médicamenteuses pénètrent dans le parasite via les transporteurs P2 et AQP2. Une fois dans la cellule, le mélarsoprol forme un adduit toxique (Mel T) avec la trypanothione (TSH). Celui-ci est ensuite expulsé hors du protozoaire.
L’éflornithine a remplacé le mélarsoprol en tant que traitement de première intention dans de nombreuses régions. Cependant la nécessité de régimes posologiques prolongés et compliqués a ralenti l’application généralisée de la monothérapie à l’éflornithine.
Une polythérapie d’éflornithine et de nifurtimox diminue considérablement la dose requise et la durée de l’administration de l’éflornithine et cette polythérapie de nifurtimox-éflornithine a connu une application rapide. Malheureusement une sélection d’une résistance à l’éflornithine au laboratoire est relativement facile (par le biais de la perte d’un transporteur d’acides aminés qui serait impliqué dans son absorption), tout comme la sélection d’une résistance au nifurtimox. Les premiers rapports isolés d’échecs de traitement avec une monothérapie à l’éflornithine sont en train d’apparaître dans certains foyers. La possibilité que des parasites résistant au mélarsoprol d’une part et à l’éflornithine d’autre part, soient présents sur le terrain indique que des gènes capables de conférer une chimiorésistance aux deux médicaments circulent. Si de nouveaux médicaments, qui agissent de façon à ne pas être vulnérables aux mécanismes de résistance déjà en circulation n’apparaissent pas bientôt, il existe un risque que la tendance actuelle à la baisse de la prévalence de la trypanosomose humaine africaine soit renversée et, comme cela s’est produit dans le passé, que la maladie connaisse une résurgence mais cette fois sous une forme qui résiste aux médicaments disponibles [147].