Clinique

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La maladie du sommeil non traitée aboutit inéluctablement à la mort dans des délais variables selon qu'elle est due à Trypanosoma brucei gambiense ou à Trypanosoma brucei rhodesiense. Dans le cas de Trypanosoma brucei gambiense, il s'agit d'une maladie chronique pouvant évoluer sur une dizaine d'années alors que pour Trypanosoma brucei rhodesiense, d'évolution aiguë, la mort peut survenir moins d'un an après la contamination.

  Inoculation
La présence des trypanosomes au point de piqûre provoque un chancre dit « chancre d'inoculation» ou « trypanome » (figure16). C'est une sorte de furoncle douloureux qui ne dure que quelques jours. En pratique, du fait des nombreuses agressions cutanées auxquelles sont soumises les populations africaines, ce chancre passe le plus souvent inaperçu. Exceptionnellement, il peut prendre une forme inflammatoire aiguë. On observe alors une tuméfaction chaude et rénitente pouvant atteindre la taille d'une mandarine. La ponction met en évidence de très nombreux trypanosomes.


Figure 16 : Chancre d’inoculation [105].
Période d’incubation
Pendant cette période qui peut durer de quelques jours à quelques mois et reste totalement asymptomatique, le trypanosome se multiplie et diffuse dans l'organisme par voie sanguine ou par voie lymphatique.

Phase lymphatico-sanguine
La phase lymphatico-sanguine (1er période ou phase de généralisation), correspond à l'atteinte par les trypanosomes du système histio-monocytaire constitué des cellules sanguines et des cellules de certains tissus (réticulo-endothélial et conjonctif) participant à la défense de l'organisme. La multiplication des trypanosomes dans ces tissus provoque une inflammation et une hyperplasie de ces derniers. Le système lymphatique est principalement concerné. Le foie et la rate peuvent également l'être, de même que le cœur ou le tissu lymphoïde intestinal.
La symptomatologie se résume à quelques signes cliniques non spécifiques:
- une fièvre non précédée de frissons, anarchique et rebelle à tout traitement non spécifique. Elle oscille entre 38° et 38,5°, pouvant atteindre 40° ou 41 ° et peut s'accompagner d'une détérioration de l'état général. Durant les périodes d'apyrexie, les battements cardiaques s'accélèrent à 120 pulsations à la minute, voire plus ;
- parfois un prurit ;
- une atteinte cardiaque : le malade peut présenter des troubles du rythme cardiaque sans aucune spécificité (arythmie, tachycardie et bradychardie). L’électrocardiogramme montre des ondes T plates ou négatives. L’examen anatomo-pathologique peur mettre en évidence une pancardite infiltrative mésenchymateuse, des lésions de sclérose du myocarde ou de simples lésions inflammatoires de la fibre musculaire ;
- des troubles digestifs se traduisant par des vomissements, des diarrhées parfois dysentériformes avec leucocytorrhées, expliqués par une réaction du tissu lymphoïde intestinal ;
- la présence de ganglions palpables (adénopathies), de volume moyen, élastiques, mobiles et indolores, n'évoluant jamais vers la suppuration. On les trouve surtout localisés le long du cou (figure 17) et à sa base (chaînes ganglionnaires sus-claviculaires, cervicales et jugulaires);
- le foie et la rate sont parfois augmentés de volume (hépatosplénomégalie);
- des signes cutanés qui sont de deux types: les trypanides (figure 17) et les oedèmes.


Figure 17 : De gauche à droite, adénopathie cervicale, trypanides et œdème facial  [106].

Les trypanides sont des taches variant du rose au rouge violacé de 5 à 15 cm de diamètre, localisées au thorax, à la racine des membres (épaules et hanches) et au front. Elles peuvent prendre l'aspect de marbrures, de placards irréguliers, de taches annulaires ou de taches confluentes polycycliques à grandes courbures (comme si plusieurs taches arrondies étaient réunies). Il s'agit d’érythèmes maculeux ou surélevés pouvant laisser des cicatrices pigmentées. Ils passent presque toujours inaperçus sur la peau noire. Les œdèmes se voient surtout à la face. Le visage prend un aspect bouffi que l'on qualifie de « lunaire » (figure 17). On peut aussi observer des œdèmes malléolaires.
À ce stade, il peut y avoir des troubles neurologiques témoins d'un processus inflammatoire. Il s'agit le plus souvent de céphalées, de signes méningés frustres ou de crises comitiales.

 Phase méningo-encéphalitique
Cette phase, également appelée 2e période ou phase de polarisation cérébrale, fait suite au passage des trypanosomes à travers la barrière méningée. Elle peut être précoce, ou tardive, mettant des années à apparaître. Il semble que le régime alimentaire intervienne, un régime riche et équilibré retardant le passage en seconde période. Il a été observé que les pêcheurs africains dont l'apport protidique est riche et, autrefois, les trypanosomés incorporés dans l'armée française, présentaient des signes manifestes de seconde période bien plus tardivement que les populations africaines mal ou sous alimentées.
La présence de trypanosomes dans le système nerveux central va entraîner une inflammation des tissus cérébraux. Les lésions consistent en une méningoencéphalite diffuse réversible au début évoluant vers une encéphalite mésenchymateuse périvasculaire et démyélinisante principalement localisée autour des ventricules médians, dans les régions méso-diencéphaliques. À cette phase, ce sont les réactions auto-allergiques qui prédominent. La maladie devient auto-entretenue.
D'importants infiltrats histioplasmocytaires périvasculaires apparaissent. On note aussi la présence de cellules de Mott, grosses cellules au cytoplasme bourré de vacuoles éosinophiles rejetant le noyau en périphérie.
Alors que les signes de la première période, exception faite de la fièvre, régressent puis disparaissent (adénopathies, hépatosplénomégalie, trypanides), des signes neurologiques extrêmement variés apparaissent. En règle générale, le tableau neurologique commence par des céphalées et des troubles du comportement. Ces derniers vont s'aggraver et se diversifier au point qu'en zone d'endémie tout signe neurologique doit faire suspecter une maladie du sommeil jusqu'à preuve du contraire. Ces troubles peuvent se superposer donnant un tableau clinique complexe. On peut les classer en six groupes bien individualisés.
-         Troubles de la sensibilité
Ils concernent la sensibilité superficielle et la sensibilité profonde. La sensibilité superficielle peut être plus ou moins augmentée (hyperesthésie) ou diminuée (hypoesthésie). On peut également observer des signes polynévritiques avec fourmillement, prurit intense, crampes, névralgies, mais c'est surtout la sensibilité profonde qui est perturbée. Cela se traduit, en particulier, par ce que l'on appelle le signe de la clef de Kérandel : la douleur à la pression est telle que le malade ne peut pas tourner une clé dans une serrure.
-         Troubles de la vigilance
Ils font partie des signes les plus tardifs mais également les plus évocateurs de la maladie. Il s'agit de troubles du sommeil paradoxal. Ils commencent par une succession d'épisodes de veille et de sommeil, le malade s'endormant à n'importe quel moment pour se réveiller un peu plus tard et ceci de jour comme de nuit. Très souvent, on constate une inversion du rythme nycthéméral, le malade dort le jour et reste éveillé la nuit. En fin d'évolution, le malade est dans un état d'hébétude permanente.

-         Troubles psychiques
Le comportement du malade peut aller de l'apathie aux crises psychiatriques aiguës avec tendances criminelles ou suicidaires et perversion et peut osciller de l'hilarité à la tristesse. Globalement, le malade change radicalement de comportement.
-         Troubles moteurs
Le malade présente une modification du tonus et des mouvements involontaires traduisant souvent un syndrome extrapyramidal. On peut observer des mouvements myocloniques involontaires, des mouvements choréiques brusques et saccadés ainsi qu'une hypertonie et des tremblements au repos. On peut également observer des signes pyramidaux avec aréflexie périphérique, atonie et amyotrophie neurogène, un syndrome cérébelleux ou cérébello-vestibulaire. Les mouvements peuvent être lents et ondulatoires, particulièrement aux mains (mouvements athétosiques). Des signes d'incoordination motrice peuvent exister rendant, par exemple, impossible le mouvement volontaire consistant à poser un doigt sur le bout du nez, comme, lors d'une intoxication éthylique (syndrome cérébelleux). On peut également observer des automatismes de succion. Le tableau clinique peur être celui d'une hypertension intracrânienne ou d'une épilepsie pouvant faire évoquer une pathologie chirurgicale.
-         Troubles endocriniens
Ils sont la conséquence d'une atteinte de ce que l'on appelle l'axe diencéphalo-hypophysaire qui règle la plupart des sécrétions hormonales. On observe de nombreux troubles hormonaux entraînant la stérilité (avec aménorrhée chez la femme) et des troubles de la régulation thermique, de la soif et une insuffisance thyroïdienne.

-         Troubles du comportement alimentaire
Alors que le malade est boulimique, il est l'objet d'un amaigrissement progressif. L’évolution en l'absence de traitement se tait vers une cachexie dite « sommeilleuse terminale » (figure 18). Le malade s'affaiblit et maigrir de façon considérable. Sa démence, de caractère organique (tremblement des lèvres et dysarthrie), évoque une paralysie générale.
Enfin, il sombre dans le coma (figure 19) par encéphalite (encéphalite démyélinisante auto-entretenue) irréversible puis meurt, souvent d'une infection intercurrente.


           Figure 18 : Malade au stade terminal  [107].  Figure 19 : Coma [108].