Identité
Le vecteur de
la maladie du sommeil, la glossine, communément appelée mouche tsé-tsé, est un
insecte diptère possédant une seule paire d'aile appartenant à la famille des
Glossinidae qui ne comporte qu'un seul genre le genre Glossina et une
trentaine d'espèces et de sous-espèces (tableau II).
Figure
9 : Mouche tsé-tsé (Glossina morsitans) après un repas de sang [36].
Les glossines
ont une taille variant de 6 à 16 mm (figure 9, 10 et 11) sans le proboscis.
Leur corps est de couleur terne, variant du gris foncé au brun clair, avec parfois
quelques tâches plus claires sur le dos de l'abdomen ; leurs ailes se
recouvrent l'une sur l'autre au repos comme des lames de ciseaux ; l'appareil
piqueur, le proboscis, est dirigé vers l'avant. Le vol de la tsé-tsé est
rapide. Il n'y a pas de différences physiques notables entre les deux sexes ;
le mâle et la femelle sont tous deux hématophages contrairement aux moustiques
par exemple, chez qui seule la femelle se nourrit de sang pour permettre le
développement des œufs [38].
Figure 10 : Glossine pendant un repas de sang [37].
Figure
11 : L’appareil buccal de la glossine : À gauche, tête de la glossine
avec le proboscis ; à droite, les différentes pièces du proboscis [39].
Les glossines
sont divisées en trois grands groupes: Nemorhina qui regroupe des
espèces de petite taille vivant plutôt près des zones humides ; Glossina
dont font partie des espèces de taille moyenne occupant les savanes ; Austenina,
glossines de grande taille des zones boisées se nourrissant sur animaux et qui,
elles, sont sans intérêt médical.
Tableau
II : Espèces et sous-espèces de glossines [40].
Sous-genre
|
Espèces
|
Sous-espèces
|
Glossina
|
Glossina
morsitans
Glossina
austeni
Glossina
pallidipes
Glossina
longipalpis
Glossina
swynnertoni
|
Glossina
morsitans morsitans
Glossina
morsitans centralis
Glossina
morsitans submorsitans
|
Nemorhina
|
Glossina palpalis
Glossina
tachinoides
Glossina
pallicera
Glossina
fuscipes
Glossina
caliginea
|
Glossina
palpalis palpalis
Glossina
palpalis gambiensis
Glossina pallicera pallicera
Glossina pallicera newsteadi
Glossina
fuscipes fuscipes
Glossina
fuscipes quanzensis
Glossina
fuscipes martinii
|
Austenina
|
Glossina fusca
Glossina nigrofusca
Glossina fuscipleuris
Glossina haningtoni
Glossina schwetzi
Glossina tabaniformis
Glossina nashi
Glossina vanhoofi
Glossina medicorum
Glossina frezili
Glossina severini
Glossina brevipalpis
Glossina
longipennis
|
Glossina fusca fusca
Glossina fusca congolensis
Glossina nigrofusca nigrofusca
Glossina nigrofusca hopkinsi
|
Trypanosoma
brucei gambiense est transmis
seulement par trois espèces:
§ Glossina palpalis qui
est présente en Afrique occidentale et centrale, du Sénégal à la république
démocratique du Congo avec deux sous-espèces : Glossina palpalis palpalis,
plutôt attachées aux zones forestières et Glossina palpalis gambiensis,
plus particulièrement dans les galeries forestières de savane;
§ Glossina tachinoides qui
fréquente les mêmes zones que Glossina palpalis gambiensis;
§ Glossina fuscipes qui
vit exclusivement en Afrique centrale, entre le Cameroun au nord, l'Angola au
sud et la région des grands lacs à l'est. Elle regroupe trois sous-espèces : Glossina
fuscipes fuscipes entre le Congo et le Cameroun, Glossina fuscipes quanzensis
au sud-ouest et Glossina fuscipes martinii au sud-est.
Deux autres
espèces, appartenant au même groupe, pourraient jouer un rôle dans la transmission
de Trypanosoma brucei gambiense : Glossina caliginea et Glossina
pallicera. Toutes deux, vivant en zone de forêt, cohabitent avec Glossina
palpalis.
La transmission
de Trypanosoma brucei rhodesiense est assurée par:
§ Glossina fuscipes et
ses sous-espèces;
§ Glossina morsitans,
typique des zones de savanes, dont deux sous-espèces sont vectrices : Glossina
morsitans morsitans et : Glossina morsitans centralis dans toute
l'Afrique orientale;
§ Glossina pallidipes et Glossina
swynnertoni, dans la même zone que la précédente.
La plupart de
ces espèces peuvent se distinguer assez aisément avec un peu d'habitude car
même si elles ont certaines ressemblances morphologiques, leurs zones de
colonisation ne se chevauchent pas [41].
Biologie
La vie de la
glossine se résume à deux actes: reproduction et alimentation (figure 12).
La femelle, une
fois fécondée par le mâle, dépose une larve (et non des œufs comme les
moustiques) dans un gîte de reproduction qui, le plus souvent, est un gîte de
repos pour la femelle. Fragile, craignant la lumière et la sécheresse, la larve
s'enfouit très vite dans le sol, entre 2 et 6 cm de profondeur. Son tégument
extérieur se rigidifie et noircit formant une carapace dure et étanche, le
puparium ; le seul contact que la larve a avec l'extérieur se fait pour la
respiration au niveau de deux gros lobes postérieurs (les lobes
polypneustiques). À l'intérieur du puparium se déroule la nymphose qui amène la
larve au stade d'adulte (d'imago) et qui dure entre 25 et 60 jours selon la
température.
Au terme de la nymphose, l'adulte rompt le puparium, remonte vers
la surface et commence sa vie à l'air libre. Cette glossine ténérale n'a alors
qu'une préoccupation, rechercher un hôte pour se nourrir. Ce repas l'aide à
lutter contre la sécheresse ambiante, lui apporte de l'énergie et lui permet de
développer ses muscles thoraciques qui commandent les ailes. Ce premier repas
de sang risque de la transformer en vecteur si elle rencontre un porteur de
trypanosomes. Par la suite, selon la température et l'humidité, la tsé-tsé
prend un repas à intervalle assez régulier, de 1 à 3 jours [42].
Figure
12 : Cycle de reproduction de la glossine [43].
La femelle,
généralement fécondée par le mâle avant son premier repas, produit sa première
larve à l'âge de 18-20 jours puis les suivantes au rythme d'une tous les dix
jours environ. Ce faible taux de reproduction est compensé par une grande
longévité : en moyenne trois mois, en fonction exclusivement des facteurs
climatiques et de la nourriture, mais certains individus vivent plus de six
mois [44].
Gorgée de sang
ou alourdie par sa larve, la femelle se repose la plupart du temps dans des
lieux où elle trouve des conditions climatiques favorables. Ces endroits sont
généralement très localisés dans l'espace : ainsi les glossines du groupe palpalis
se reposent entre 0 et 4 m de la rive d'un cours d'eau et entre 0 et 1 m de
hauteur, principalement sur des gros troncs d'arbres lisses. Ces observations
ont permis de mettre au point une technique de pulvérisations d'insecticide
très sélective.
Le mâle, toujours
à la recherche de femelles et de nourriture, est plus actif ; pour le moment,
rien ne prouve que la femelle transmette mieux ou moins bien le trypanosome que
le mâle.
La glossine
malgré sa puissance de vol se déplace peu au cours de sa vie en dehors d'un
rayon de 100 à 200 m. Cependant, il peut arriver que des individus, sous
l'influence de facteurs encore mal connus, effectuent des vols de plusieurs
kilomètres en quelques jours. Cela favorise évidemment la dispersion des
populations. Généralement, les déplacements des glossines sont passifs,
c'est-à-dire sur le dos de leur hôte, homme ou animal, ou à l'intérieur de véhicules
[45].
La tsé-tsé a
peu d'ennemis naturels et tous les essais de lutte biologique basés sur le
lâcher de parasites ou de prédateurs ont abouti à des échecs.
Les préférences
de la glossine en matière d'alimentation déterminent le risque de transmission
des trypanosomes pathogènes pour l'homme. Certaines glossines ne se nourrissent
que sur un type d'hôte, voire une seule espèce : ainsi une espèce peut ne
piquer que les phacochères ou que les bovins. D'autres, plus éclectiques, sont
capables de se nourrir sur différents hôtes selon leur disponibilité locale ou
saisonnière : ainsi Glossina tachinoides prend ses repas sur l'homme,
les antilopes, les phacochères, les oiseaux et les reptiles ; mais, en saison
froide, la plupart de ses repas sont pris sur ces derniers, plus
particulièrement sur les varans. Ces espèces sont dangereuses pour l'homme
puisqu'elles peuvent transmettre le trypanosome d'homme à homme mais aussi
d'animaux à homme [46].
Un dernier
groupe d'espèces est appelé opportuniste : ce sont les plus redoutables car
elles adaptent leur régime alimentaire aux conditions qu'elles rencontrent.
Ainsi Glossina palpalis, normalement plutôt éclectique, peut devenir
soit totalement inféodée aux porcs en lisière de village, soit strictement
anthropophile si elle se trouve dans une région sans animaux. Cet opportunisme
alimentaire explique la diversité des gîtes que l'espèce peut coloniser ainsi
que des schémas de transmission des trypanosomes pathogènes [47].
Écologie
La glossine a
trois besoins essentiels : de l'ombre pour la fraîcheur, de l'humidité et de la
nourriture. L’aire de distribution d'une espèce sera donc fonction de son
aptitude à supporter des conditions particulières ou de s'adapter à de
nouvelles.
En ce qui
concerne les espèces vectrices de Trypanosoma brucei gambiense, leurs
gîtes préférentiels offrent, à la fois, une végétation arborée relativement
dense, une humidité élevée (du fait du couvert végétal, de la pluviométrie ou
de la présence d'un plan d'eau) et une faune suffisamment riche en hôtes
vertébrés pour assurer sa survie.
Les principaux
gites à glossines en Afrique occidentale et centrale peuvent être séparés en
habitats naturels et anthropisés.
-
Habitats
naturels
• La mangrove
est une formation boisée dense, basse ou élevée, qui peuple les eaux saumâtres
aux embouchures des fleuves. Elle est parcourue par un réseau très dense de
canaux de diverses largeurs, les plus étroits sont dissimulés sous le couvert
des arbres. Elle constitue l'habitat de Glossina caliginea et de Glossina
palpalis palpalis, deux espèces vectrices de la trypanosomiase humaine
africaine. Elle s'étend depuis la Guinée-Bissau jusqu'en Angola. Souvent
utilisée par l'homme pour la pêche, la récolte du sel et du bois ou pour la
riziculture, elle constitue une zone à risque élevé et plusieurs foyers sont
installés dans cette formation.
• La forêt
ombrophile est constituée d'arbres géants, laissant filtrer très peu de lumière
et dominant un sous-bois peu dense, souvent giboyeux ; c'est l'habitat typique
de toutes les espèces du groupe fusca. Glossina palpalis
en est absente sauf si l'homme s'installe et commence à dégrader partiellement
le milieu naturel pour le transformer en milieu anthropique : installation de
champs de vivriers, implantation de villages, élevage d'animaux domestiques.
• La forêt
mésophile, moins dense que la précédente, est constituée d'un sous-bois épais ou
l'on trouve Glossina palpalis, Glossina fluscipes, Glossina pallicera
ainsi que des glossines du groupe fusca sans intérêt médical (Glossina
nigrofusca, Glossina fusca et Glossina medicorum). On observe
ces mêmes espèces dans les régions de savanes incluses, c'est-à-dire résultant
de la dégradation de la forêt mésophile ou subsistent des reliques forestières.
• La savane
boisée, dont il existe plusieurs types selon la latitude, la pluviométrie, la
nature et la densité du boisement est le domaine exclusif des espèces dites
savanicoles (Glossina morsitans submorsitans, Glossina longipalpis), à condition
que la faune sauvage soit suffisamment dense ou qu'elle soit remplacée par du bétail.
• La savane
soudanienne, avec une pluviosité annuelle de 500 à 1 000 mm, caractérisée par
la présence de baobabs, d'arbustes et d'épineux (comme les Acacia sp.) est
généralement défavorable aux glossines qui se réfugient dans les galeries
forestières.
• Les galeries
forestières présentes dans toutes les régions de savane, sont des formations
boisées plus ou moins larges, avec une canopée (couverture formée par la cime
des arbres) ouverte ou fermée selon l'encaissement du cours d'eau, permanent ou
temporaire, qu'elles bordent (figure 13). Ce sont les habitats typiques de Glossina
palpalis, notamment Glossina palpalis gambiensis, Glossina
fuscipes et de Glossina tachinoides avec parfois Glossina
morsitans submorsitans qui s'y réfugie en saison sèche froide.
Figure
13 : Galerie forestière au Burkina Faso, habitat typique des mouches riveraines [48].
-
Habitats
anthropisés
De nombreuses
espèces ont réussi à conquérir certaines formations végétales entretenues ou
créées par l'homme.
• Les caféières
et les cacaoyères ont été investies par les espèces forestières, anthropophiles
ou non, compte tenu de leur fréquentation permanente par l'homme et par
certaines petites antilopes.
• Les
mangueraies proches des galeries forestières ou des villages peuvent héberger
de fortes colonies de glossines riveraines (une glossine riveraine est une
glossine, généralement du groupe palpalis, qui vit à proximité des cours
d'eau à l'intérieur des galeries forestières ou forêts galeries dans les zones
de savane. Ces mêmes espèces peuvent se trouver aussi en zone de forêt,
largement disséminées dans tous les biotopes suffisamment humides).
• Les bois
sacrés sont des formations végétales naturelles, résiduelles ou non,
généralement denses ; dans certaines régions d'Afrique, elles sont réservées à
des cérémonies rituelles. Compte tenu des superstitions dont elles font
l'objet, elles sont maintenues en l'état, abritant ainsi des populations de
glossines isolées des gîtes de type classique et totalement inféodées à
l'homme.
• Les niayes,
typiques de la presqu'île du Cap-Vert (Sénégal), sont des petites formations
végétales de bas-fonds humides, entre les dunes littorales, utilisées pour les
cultures maraîchères ; elles permettent la survie de Glossina palpalis gambiensis
même dans des régions où il pleut moins de 800 mm par an.
• Les lisières buissonnantes des villages de la savane
sud-guinéenne et de la forêt ont été colonisées par Glossina palpalis, Glossina
fuscipes et Glossina tachinoides, attirées et maintenues sur place
par la présence des porcs domestiques. Elles peuvent pénétrer à l'intérieur du
village en suivant l'homme et les animaux [49].
L’effet lisière
s'observe en savane comme en forêt. Les glossines ne sont pas uniformément
réparties dans tout le gîte et l'on constate des concentrations importantes
dans les secteurs dont le couvert végétal fournit des conditions écologiques et
climatiques favorables pour l'adulte et la pupe et dont la fréquentation par
les hôtes est suffisante. Ces secteurs sont généralement les écotones, terme
qui désigne les lisières entre deux faciès dont l'un au moins est boisé. Ainsi,
en zone forestière, les plus fortes densités de Glossina palpalis palpalis
sont enregistrées au niveau des lisières de villages, sur les lisières entre la
plantation (caféière ou cacaoyère) et un bas-fond, le long des routes et
chemins séparant une plantation et une relique forestière [50].