Inventaire des produits actifs

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Les médicaments actuellement utilisés pour le traitement de la maladie du sommeil ont été découverts de manière empirique [136]. Il s’agit de produits inhibant, chez le parasite, la glycolyse, la biosynthèse des polyamines ou le métabolisme du trypanothion, analogue chez le trypanosome du glutathion.
Pour comprendre le mode d'action des médicaments, il faut faire un rappel sur la biochimie des trypanosomes et plus particulièrement la glycolyse et la synthèse des polyamines.
La glycolyse joue un rôle majeur dans le métabolisme des kinétoplastes. Les trypanosomes n'ayant pas de cycle de Krebs, ils sont complètement dépendants de la glycolyse pour leur apport d'énergie libre. Les formes sanguicoles font une grande consommation de glucose dont 99 % sont excrétés sous forme de pyruvate. Les formes infectantes de l'insecte en font une consommation bien moindre. La glycolyse est donc une cible privilégiée pour une action thérapeutique. On a démontré qu'en les privant de glucose ou en inhibant la glycolyse, on tue les trypanosomes. Bien que l’action de la pentamidine, du mélarsoprol et du DFMO ne porte pas, ou peu, sur la glycolyse c'est une voie importante de recherche pour de nouveaux médicaments.
Les polyamines sont indispensables pour la croissance et la différentiation cellulaire.
Leur action a pour effet de :
-         moduler la structure ribosomale ;
-         diminuer la déformabilité membranaire ;
-         stabiliser le cytosquelette en se liant aux phospholipides.
Les trypanosomes synthétisent un conjugué du glutathion et de la spermidine : le trypanothion (figure 23). Celui-ci joue un rôle central dans le maintien d'un environnement réducteur intracellulaire. La diminution du taux de trypanothion peut réduire fortement les défenses anti-oxydatives des trypanosomes, ce qui leur est fatal.


Figure 23 : Synthèse des polyamines et cibles d'action des médicaments [137].

L’éflornithine agit en inhibant l'ornithine décarboxilase (ODC, premier niveau de la synthèse des polyamines) alors que le mélarsoprol agit en fin de synthèse, sur la trypanothione réductase. La pentamidine inhibe la synthèse des polyamines.

I.1.1.  La pentamidine
Cette diamidine a été introduite en 1937 pour le traitement du stade précoce de la trypanosomiase africaine à Trypanosoma brucei gambiense.
  
I.1.1.1.      Forme et voie d’administration
Elle se présente sous forme d’iséthionate de pentamidine en ampoules de 300 mg à diluer dans 3 ml d’eau pour injection (100 mg/ml) ou en ampoules de 200 mg. Il s’agit du trypanocide prescrit dans le cadre du stade 1 de l’infection par Trypanosoma brucei gambiense. Le traitement comporte une injection intramusculaire (ou si possible une perfusion intraveineuse sur 2 heures, pour améliorer la tolérance) quotidienne à la dose de 4 mg/kg/jour pendant 7 à 10 jours [138].

I.1.1.2.      Pharmacocinétique
Les auteurs sont d’accord pour un pic plasmatique dans l’heure qui suit une injection intramusculaire. Cependant, les valeurs maximales observées sont très variables, 200 à 4 420 μg/L, après une injection intramusculaire de 4 mg/kg de pentamidine base. Les concentrations plasmatiques résiduelles augmentent avec chaque dose quotidienne, signe de l’accumulation du médicament. Quant à l’élimination, très lente à cause de l’importante proportion du produit (70-80 %) liée aux protéines plasmatiques, elle a été à la base de la recommandation de l’utilisation en prophylaxie. La demi-vie plasmatique varie entre 24 heures et 48 jours avec une moyenne de 12 jours. La pentamidine ne traverse que très peu la barrière hématoencéphalique : les concentrations, peu utiles, observées dans le LCR ne dépassent pas 0,8 % de la concentration plasmatique [139].

I.1.1.3.      Effets secondaires
Les réactions locales au point d’injection intramusculaire (douleur, abcès stérile et nécrose) sont fréquentes.
Les réactions générales couramment observées sont l’hypotension, les douleurs abdominales, l’hypersalivation, les vertiges, les nausées et les douleurs thoraciques.
La toxicité rénale (albuminurie) fait l’objet d’une surveillance et les troubles du métabolisme glucidique (hypo- ou hyperglycémie) surviennent plus fréquemment aux doses élevées et chez des patients avec métabolisme glucidique altéré. Ces réactions peuvent être liées à une forte concentration plasmatique.

I.1.2.  Mélarsoprol
C’est un composé arsenical introduit en 1949 par Friedheim [140]. C’est une combinaison de mélarsenoxyde et d’un agent chélateur, le dimercaptopropanol.

I.1.2.1.      Forme et voie d’administration
Mélarsoprol, en ampoules de 5 ml de solution à 3,6 % (5 ml = 180 mg), pour voie intraveineuse stricte, à la posologie de 3,6 mg/kg/jour (ou 1 ml/10 kg/jour) sans dépasser une ampoule par jour, en deux à quatre séries de trois ou quatre injections (chaque série séparée d’au moins une semaine). Le protocole de référence (Neujan) n’est plus utilisé. Ce schéma a été recommandé dès que la cellulorachie est supérieure à 5/mm3. Des arguments pharmacocinétiques (demi-vie plasmatique moyenne de 35 heures) ont inféré la suppression des périodes de repos en vue du maintien de taux plasmatiques efficaces tout en diminuant les doses et la durée du traitement (par exemple, 2,2 mg/kg/jour, 10 jours). Cette attitude n’a pas été validée car la toxicité n’apparaît néanmoins pas modifiée. Une corticothérapie brève (prednisone 1 mg/kg/jour, 3 à 5 jours) est préconisée au début de chaque cure pour prévenir les manifestations d’intolérance (malaise général, fièvre,  hypersensibilité cutanée, DRESS syndrome). La perfusion doit être surveillée (risque de phlébite). La survenue d’une toxicité (cytopénies, hépatite, névrite et surtout encéphalite) impose l’arrêt du traitement. Dans le traitement du stade 2 de la THA Trypanosoma brucei gambiense, le mélarsoprol a été progressivement remplacé par l’éflornithine, en monothérapie puis en association avec le nifurtimox. Le mélarsoprol est le seul trypanocide utilisé au cours du stade 2 de la THA à Trypanosoma brucei rhodesiense [138].

I.1.2.2.      Pharmacocinétique
Le mélarsoprol est peu éliminé dans les urines (environ 20 % de la dose injectée) et les matières fécales. Six jours après la dernière injection, seulement 85 % du mélarsoprol est éliminé. Aussi pour prévenir cette accumulation dans le corps, les cures ne doivent pas excéder trois ou quatre injections; une dose maximale admissible a été déterminée.
La concentration plasmatique du mélarsoprol atteint 2 à 4 mg/ml 24 h après l'injection et se trouve encore à plus de 0,1 mg/ml au bout de 120 h. Dans le LCR, sa concentration varie d'un individu à l'autre avec un maximum à 260 mg/ml et un minimum en dessous du seuil de détection.

I.1.2.3.      Effets secondaires
La toxicité du mélarsoprol reste un point noir. Dans les premières heures ou jours, des signes d’alarme intestinaux, rénaux, cutanés, rhumatoïdes, cardiaques ou généraux peuvent imposer l’interruption du traitement. La fin de la première semaine est la période la plus critique, où le déclenchement d’une encéphalopathie réactionnelle peut survenir, caractérisée par des symptômes nerveux, digestifs, psychiatriques et vasculaires (fièvre, céphalées, tremblements, troubles de la parole, convulsions) conduisant au coma hyperthermique et à la mort dans les 48 heures. Les convulsions tonicocloniques, qui peuvent être déclenchées par le plus léger stimulus, sont le principal signe clinique de l’encéphalopathie réactionnelle.
L’hypothèse d’une destruction massive des parasites dans le système nerveux central, avancée pour expliquer le phénomène, se base sur la corrélation existant entre la fréquence et la gravité de la réaction avec le stade d’avancement de la maladie au moment du traitement et donc de la quantité de parasites dans les tissus nerveux.
L’encéphalite ne survient pas après un traitement à la suramine qui détruit rapidement tous les parasites, sauf ceux du système nerveux central.
Dans diverses séries d’observations, l’encéphalopathie est observée dans 5 à 10% des patients traités à l’Arsobalt®. Elle a été de 7,8 % dans la série de Pépin en République démocratique du Congo [141].

I.1.3.  Éflornithine
L’éflornithine est homologuée aux États-Unis d’Amérique depuis 1990.
I.1.3.1.      Forme et voie d’administration
Eflornithine (α-difluorométhylornithine, DFMO), administré respectivement à la dose de 400 mg/kg/jour chez l’adulte ou 600 mg/kg/jour chez l’enfant, en quatre injections intraveineuses quotidiennes pendant 14 jours, soit 24 g par jour pour un patient de 60 kg. L’éflornithine est actif à tous les stades de l’infection par Trypanosoma brucei gambiense mais inefficace sur Trypanosoma brucei rhodesiense.


I.1.3.2.      Pharmacocinétique
Après administration orale, on estime à environ 54 % la proportion de la dose qui est biodisponible. Après administration intraveineuse, l’élimination est rapide avec une demi-vie moyenne d’environ 3 heures. L’éflornithine traverse la barrière hématoencéphalique. Le rapport des concentrations moyennes LCR/plasma est de 0,91 chez l’adulte à la fin du traitement. Chez l’enfant, les concentrations plasmatiques et dans le LCR sont inférieures à la moitié de celles de l’adulte pour une même dose par kilogramme de poids administrée [142].

I.1.3.3.      Effets secondaires
Les traitements prolongés (4 à 6 semaines) par voie orale donnaient lieu à des épisodes de diarrhée qui obligeaient souvent à interrompre le traitement.
Les traitements « courts » par perfusions intraveineuses sont mieux tolérés, mais on observe malgré tout une sidération de la moelle osseuse avec anémie, leucopénie et thrombopénie. D’autres phénomènes, épisodes diarrhéiques, convulsions (surtout au début du traitement), vomissements et fièvre complètent le tableau mais régressent spontanément dès la fin de l’administration.

I.1.4.  Nifurtimox
Présenté en comprimés à 120 mg. La posologie est de 15 mg/kg/jour pour l’adulte (21 mg/kg/jour pour l’enfant) en trois prises quotidiennes pendant 14 à 21 jours. Ce produit est indiqué hors AMM dans les stades de polarisation cérébrale des infections à Trypanosoma brucei gambiense résistantes au mélarsoprol. Son utilisation en association avec l’éflornithine a permis la construction de schémas courts et simplifiés. Cette combinaison est appelée à occuper une place de choix dans le traitement de première ligne du stade 2 de la THA à Trypanosoma brucei gambiense. Il n’est pas évalué pour Trypanosoma brucei rhodesiense.

I.1.4.1.      Pharmacocinétique
Les taux sériques de nifurtimox, après administration orale, atteignent leur maximum en 1 à 3 heures. Le médicament ou ses métabolites actifs traversent la barrière hématoencéphalique : les altérations du LCR régressent sous l’effet du traitement.

I.1.4.2.      Effets secondaires
Les effets secondaires toxiques touchant le système nerveux central et périphérique sont fréquents, et les malades peuvent être tentés d’interrompre le traitement s’ils ne sont pas sous surveillance médicale. Ces effets consistent en convulsions, réactions psychotiques, nystagmus, vertiges, troubles de l’équilibre, polynévrite, gêne gastro-intestinale et rash.

I.1.5.  Suramine sodique
La suramine sodique a été introduite en 1922 pour le traitement de la THA.

I.1.5.1.      Forme et voie d’administration
Suramine sodique, en ampoules de 1 g pour administration par voie intraveineuse, à la posologie de 20 mg/kg/jour pendant 5 à 9 jours sans dépasser 1 g par injection (dose totale maximale : 200 mg/kg). Il s’agit du trypanocide prescrit dans le cadre du stade 1 de l’infection par Trypanosoma brucei rhodesiense.

I.1.5.2.      Mode d’action
La suramine sodique agit en interférant avec les enzymes de la chaîne glycolytique des trypanosomes.

I.1.5.3.      Pharmacocinétique
La suramine sodique est très peu absorbée par l’intestin et provoque une forte irritation locale en injection intramusculaire. Elle est donc toujours administrée par injection intraveineuse lente. Dans l’organisme, le produit se lie aux protéines plasmatiques et ne traverse pas la barrière hématoencéphalique à cause de la grande taille de la molécule. Les concentrations plasmatiques baissent de façon exponentielle (vite au début puis plus lentement), avec une demi-vie d’environ 60 jours. L’élimination est rénale pour environ 80 % de la dose administrée [143, 144].

I.1.5.4.      Effets secondaires
Après l’injection, il peut y avoir de l’urticaire, des nausées, vomissements et syncope. Une poussée de fièvre n’est pas rare, de même qu’un épisode de photophobie et larmoiement.

Des lésions rénales peuvent survenir quelques jours après le traitement, avec albuminurie. La dermatite exfoliative, l’ulcère de l’estomac, l’agranulocytose et l’hémolyse sont exceptionnels.