Le diagnostic
de l’invasion du SNC, ou diagnostic de stade, est primordial car il conditionne
l’attitude thérapeutique [116]. Au stade 1 lymphaticosanguin, la pentamidine,
qui diffuse peu dans le SNC, est efficace, peu toxique et peut être administrée
au dispensaire. Le seul risque est le développement à bas bruit d’une phase
nerveuse si le diagnostic de stade est incorrect [117]. Au stade 2 nerveux,
seuls le mélarsoprol et l’éflornithine sont efficaces. Ces médicaments doivent être administrés dans une
structure hospitalière, ils sont difficiles d’utilisation, coûteux et toxiques
(5 à 10 % de mortalité avec le mélarsoprol). Les signes cliniques spécifiques
de l’invasion du SNC n’existent pas et cette phase passe souvent inaperçue [118].Ainsi,
pour le diagnostic de stade, nous restons tributaires des marqueurs biologiques
signant l’invasion du SNC.
Selon les
recommandations de l'OMS [119], le stade nerveux est défini par la présence d’au
moins une des altérations biologiques du LCR ci-dessous avec ou sans présence
de signes neurologiques: (i) un taux de cellules > 5 /μL, (ii) la présence
de trypanosomes, (iii) un taux de protéines > 370 mg/L (méthode
colorimétrique). En pratique, ces critères font l’objet de nombreuses controverses
de par leur manque de sensibilité (détection des trypanosomes) ou par leur
manque de spécificité (cytorachie et protéinorachie). Sur le terrain, il est
possible d’améliorer la détection parasitologique par un examen extemporané
(dans les 10 minutes qui suivent le prélèvement) et par des techniques de
concentration qui sont cependant longues et alourdissent les prospections [120,
121]. La protéinorachie est rarement pratiquée par difficulté de
standardisation, l’absence de contrôles internes pour leur réalisation et des
résultats souvent difficiles à interpréter [122]. En fait, les concentrations
élevées d’immunoglobulines dans le sang des patients entraînent une diffusion passive
de ces immunoglobulines dans le LCR sans signification pathologique.
Le comptage des
leucocytes reste encore actuellement l’élément clé pour la décision
thérapeutique malgré son manque de spécificité et la difficulté de définir un seuil
[123].
Cette
classification en deux stades en fonction de la cytorachie est arbitraire. La
limite de 5 cellules est proche de la limite de détection des chambres de
comptage utilisées ce qui permet déjà de larges fluctuations des résultats lors
de la répétition de cet examen sur un même échantillon. Le comptage peut
cependant être facilité par l’utilisation de chambres de comptage unitaire type
Kova. Il faut garder en mémoire que le seuil de normalité de la cytorachie
varie en fonction de l’âge : il est normal jusqu’à 30 cellules/μL pendant la
première année de vie, normal jusqu’à 20 cellules/μL entre 1 et 4 ans, normal
jusqu’à 10 cellules/μL de 5 ans à la puberté [124].
De plus, la
signification pathologique de la présence de trypanosomes dans un LCR, normal
par ailleurs, n’est pas prouvée. Il en est de même avec les techniques récentes
de biologie moléculaires : des patients au stade 1 dont la PCR est positive
dans le LCR sont guéris après traitement spécifique du stade 1 [125, 126].
Ainsi, il est opportun de décrire un stade « intermédiaire » qui correspondrait
à la phase de passage du stade 1 au stade 2 [127, 128]. L’étude spécifique de
ce stade intermédiaire pourrait apporter la clé pour la compréhension des
mécanismes de l’atteinte nerveuse et ainsi la définition d’un marqueur spécifique.
En raison de
ces incertitudes, au cours des dernières années, beaucoup d'efforts ont été
consacrés à l'élaboration de meilleures et plus fiables marqueurs d’atteinte du
SNC
- Un groupe
combiné de CXCL10, CXCL8 et H-FABP pourrait déterminer le stade de la THA :
les marqueurs de lésions cérébrales découverts par des stratégies protéomiques
et les protéines liées à l’inflammation pourraient indiquer individuellement ou
en combinaison l’invasion du SNC par le parasite. Le liquide céphalorachidien (LCR)
provenait de patients dont le diagnostic de Trypanosoma brucei gambiense
avait été confirmé par une méthode parasitologique. La détermination du stade
de la maladie a été effectuée sur la base du dénombrement des leucocytes dans
le LCR et de la présence de parasites dans le LCR. Cent échantillons ont été
analysé : 21 provenant de patients au stade 1 et 79 provenant de patients au
stade 2. La concentration de H-FABP, de GSTP-1 et de S100beta dans le LCR a été
mesurée par la technique ELISA. Les niveaux de treize protéines liées à une
inflammation (IL-1ra, IL-1beta, IL-6, IL-9, IL-10, G-CSF, VEGF, IFN-gamma,
TNF-alpha, CCL2, CCL4, CXCL8 et CXCL10) ont été déterminés par des jeux de
billes en suspension.
Les résultats
ont indiqué que la CXCL10 distinguait le plus précisément les patients du stade
1 et du stade 2, avec une sensibilité de 84 % et une spécificité de 100 %.
Le groupe CXCL10, CXCL8 et H-FABP accroit le
dépistage de patients du stade 2 avec une sensibilité de 97 % et à une
spécificité de 100 %.
La présente
étude met en évidence la valeur de la CXCL10 en tant que biomarqueur simple
pour la détermination du stade de la maladie chez des patients atteints de THA à
trypanosoma brucei gambiense. Une combinaison ultérieure de CXCL10 avec
H-FABP et CXCL8 résulte en un groupe qui confirme efficacement les patients
atteints du stade 2 de la THA. Comme ces molécules pourraient être des
marqueurs potentiels d’autres infections et troubles du SNC, ces résultats
devraient être validés dans une cohorte multicentrique plus vaste incluant
d’autres maladies inflammatoires telles que l’accès pernicieux à forme cérébrale
et la tuberculose active [129].
- Les
métalloprotéinases de la matrice et les molécules d’adhésion des cellules
pourraient indiquer, seules ou ensemble, le stade de la THA : les niveaux
de MMP-2, MMP-9, ICAM-1, VCAM-1 et de sélectine E ont été mesurés dans le LCR de 63 patients
infectés avec Trypanosoma brucei gambiense (15 patients au stade 1 et 48
patients au stade 2). La détermination du stade était basée sur le dénombrement
des leucocytes et/ou la détection de parasites dans le LCR. Des concentrations
ont été obtenues soit par ELISA, soit par des essais multiplex de suspension de
billes et les résultats ont été comparés avec trois marqueurs connus de
détermination du stade de la THA (CXCL10, CXCL8 et H-FABP).
ICAM-1 et MMP-9
distinguaient précisément entre les sommeilleux de stade précoce et de stade
avancé avec une sensibilité de 95 % pour une spécificité de 100 %, ce qui était
un meilleur résultat que CXCL10, un des marqueurs connus les plus prometteurs.
La combinaison d’ICAM-1 et de MMP-9 avec H-FABP a fourni un groupe qui
résultait en une sensibilité et en une spécificité de 100 % pour la
détermination du stade de la THA. Pour conclure, ICAM-1 et MMP-9, seules ou
ensemble, semblaient être des marqueurs puissants de la détermination du stade
de la THA dans le LCR. Une validation finale de tous les marqueurs de
détermination du stade récemment découverts devrait être effectuée sur une
vaste cohorte multicentrique comprenant les deux formes de la maladie ainsi que
des patients atteints d’autres infections [130].
- La néoptérine pourrait être un excellent
marqueur biologique pour déterminer le stade de la THA : dans une étude, La
concentration de huit marqueurs dans le LCR a été mesurée CXCL10, CXCL13,
ICAM-1, VCAM-1, MMP-9, B2MG, de la néoptérine et d’IgM d’abord sur une cohorte
de formation comprenant 100 patients (44 au stade 1 et 56 au stade 2) leur classification
en tant que stade 2 était basée sur la cytorachie ou sur la présence de
parasites dans le LCR. L’IgM et la néoptérine étaient les meilleurs marqueurs
pour distinguer entre les deux stades de la maladie avec une spécificité de
86,4 % et de 84,1 % respectivement, avec une sensibilité de 100 %. Lorsqu’une
cohorte de validation (412 patients) a été testée, la néoptérine (14.3 nmol/L)
classait correctement 88 % des patients au stade 1 et 2, ce qui confirme sa
puissance élevée de détermination du stade. Sur cette deuxième cohorte, la
néoptérine prédisait également à la fois la présence de parasites et celle de
symptômes neurologiques avec la même capacité que l’IgM et la cytorachie, la
référence actuelle pour la détermination du stade de la maladie. La présente
étude a démontré que la néoptérine est un excellent marqueur biologique pour
déterminer le stade de la maladie chez des patients infectés par Trypanosoma
brucei gambiense. Un test de diagnostic rapide pour détecter ce métabolite
dans le LCR pourrait permettre de déterminer le stade de la maladie de façon
plus précise [131].