Transmission de la maladie

pub-00
Sujet cible
La maladie du sommeil ne touche pas que certaines personnes ou certains groupes en particulier. Toute personne qui vit dans une zone à risque peut être contaminée: hommes, femmes, enfants, jeunes ou vieux sont exposés au même risque. La transmission par voie placentaire a été suspectée mais jamais prouvée de façon formelle. Plusieurs nouveau-nés ont été dépistés sans que l'on puisse savoir s'il s'agissait de transmission mère-enfant in utero ou par échange de sangs au moment de l'accouchement.
Une seule piqûre de glossine infectée suffit! Une personne étrangère à une région, se déplaçant à pied et traversant une rivière à gué, ou en véhicule et s'arrêtant un instant près d'un point d'eau peut être infectée au même titre qu'un autochtone fréquentant les mêmes lieux.
Lors de la phase de sensibilisation avant campagne de lutte, cette notion doit être précisée aux villageois qui ont parfois tendance à croire que la trypanosomiase est la maladie de l'étranger et se dispensent de se présenter aux visites médicales.
Toutefois, il convient de nuancer ce risque : à l'intérieur d'un foyer, il peut exister des zones où il est faible, voire nul, et d'autres où il est très élevé. C'est généralement le cas du milieu forestier peuplé par différents groupes ethniques, d'origines géographiques diverses, dont les rapports avec les autochtones et les comportements diffèrent profondément. Leur mode de vie, leur type d'habitat, leurs pratiques agricoles, leur mobilité génèrent des secteurs socialement ouverts ou fermés.
Un milieu socialement ouvert se caractérise par une très forte mixité ethnique, les allogènes et les autochtones se côtoyant en permanence et fréquentant les mêmes espaces. L’habitat est partagé entre villages et campements de culture, permanents ou temporaires. L’approvisionnement en eau se fait de façon communautaire dans des puits ou des sources. Les parcelles octroyées aux allogènes de façon traditionnelle, sans qu'un titre de propriété soit officiellement établi, sont toujours fréquentées par les propriétaires d'origine pour, par exemple, récolter le vin de palme. En conséquence, un réseau de sentiers très dense se crée à travers les plantations, les champs, les Îlots forestiers, les jachères, traversant rivières, ruisseaux et bas-fonds ; chaque jour, la quasi-totalité des communautés s'y croise.
À l'inverse, un milieu socialement fermé est mono-ethnique et fondé par des personnes financièrement plus aisées que les immigrés. La terre a été acquise formellement et les propriétaires allogènes fréquentent peu les autochtones. Les communautés sont regroupées en hameaux. L’approvisionnement en eau se fait exclusivement en puits aménagés près de l'habitat. Les déplacements se font du domicile au champ sur un réseau de pistes peu dense et fréquenté essentiellement par l'ethnie majoritaire.
Dans le premier cas, compte tenu du brassage incessant des personnes, la THA peut se répandre très vite dans tous les groupes ethniques : elle est dispersée.
Dans le second, la prévalence de l'endémie est réduite, voire nulle; si la maladie survient, elle ne sera transmise qu'à un groupe familial : elle est groupée ou en grappe.

 Lieu de contamination
Pour qu'il y ait transmission de la maladie à l'homme il faut un vecteur. Les gîtes où vivent des tsé-tsé sont donc potentiellement des zones à risque pour l'homme.
Cependant, il existe une hiérarchie dans ce risque, en fonction des comportements humains. En zone de savane, ces sites sont surtout les galeries forestières, principalement les points fréquentés en permanence par la population : les zones de baignades, les points utilisés par les femmes pour leurs activités ménagères, les endroits où Les pêcheurs accostent leur pirogue et réparent leurs filets. Il y a aussi les points de passage, les ponts ou les gués.
En zone de forêt, on peut considérer que la transmission peut se faire partout. Mis à part la grande forêt ombrophile que les glossines d'intérêt médical n'ont pas colonisée, la forêt dégradée n'est en fait qu'un immense gîte à tsé-tsé. Comme l'homme y est omniprésent, le contact entre lui et le vecteur peut avoir lieu partout. II existe cependant des zones où le risque est plus important qu'ailleurs :
- les lieux de reproduction de la tsé-tsé qui sont souvent les bas-fonds humides, les abords des galeries forestières, les rizières, où l'insecte trouve à la fois l'ombre, l'humidité et les hôtes pour se nourrir. L’homme s'y rend fréquemment du fait de la présence d'eau qui permet les cultures (riz), la chasse ou la pêche ; les glossines, ayant peu tendance à se déplacer, restent sur place et favorisent la transmission [51] ;
-les lieux d'approvisionnements en eau sont représentés en forêt par une multitude de sources naturelles ou de trous d'eau creusés que la population utilise pour ses besoins quotidiens. Chaque jour, voire plusieurs fois par jour, presque à heure fixe, de nombreuses personnes s'y rendent. Cette présence assidue encourage l'installation de petites populations de glossines qui vont vivre en se nourrissant presque exclusivement sur les humains. Il suffit qu'un malade s'approche d'un point d'eau pour que l'ensemble du groupe qui utilise ce point d'eau soit en danger [52] ;
- certains lieux de travail, comme les points de rouissage du manioc dans certains pays, sont des zones à très haut risque car ils présentent des caractéristiques similaires aux lieux d'approvisionnements en eau ;
- les campements qui attirent et retiennent la tsé-tsé car elle y trouve de bonnes conditions de survie, ombre et nourriture.
Les lisières de villages ne sont pas sans risque. Il est fréquent, aux abords des villages, dans les broussailles, d'installer des douches ou des latrines qui permettent le contact homme/glossine.
Certaines zones de travail comme les champs de cultures vivrières ne présentent pas ou peu de risque. En revanche, toutes les plantations de culture de rente (café ou cacao) constituent des zones de transmission potentielles, plus ou moins dangereuses selon leur  âge et leur situation. Ainsi, le risque est presque nul dans une jeune caféière, impropre à la survie des glossines, car trop ensoleillée. Mais il va augmenter avec l'âge de cette plantation: les caféiers et les plantes adventices, fournissant de l'ombre et de la nourriture à des antilopes, favorisent l'installation de la tsé-tsé. La caféière âgée demande aussi plus de temps au paysan pour l'entretien et la récolte : l'allongement du temps de présence entraine une augmentation du risque de contamination.
Inversement, la cacaoyère en vieillissant perd son sous-bois, devenant ainsi moins fréquentée par les antilopes et donc par les glossines. En outre, elle nécessite peu d'entretien et la récolte des cabosses est rapide : le paysan y travaillant moins longtemps que dans une caféière n'y est pas soumis au même risque. Cependant, le risque dans une cacaoyère, même âgée, sera multiplié par 50 si celle-ci est installée près d'un bas-fond, c'est-à-dire près d'un gîte de reproduction.
Cette différence entre types de plantations explique en partie la différence de prévalence entre milieux socialement fermés ou ouverts. Dans les premiers, les allogènes, ayant plus de moyens financiers, installent tout de suite des cacaoyères : ils sont soumis à un risque d'infection moindre. Dans les seconds, les migrants se limitant à la culture des caféiers qui demandent moins d'investissements, s'exposent progressivement davantage.
Toutes les voies de communication peuvent aussi être des sites de transmission dans la mesure où les glossines s'en servent pour se déplacer, spontanément ou en suivant l'homme.
Enfin, dans certaines régions d'Afrique, à proximité des villages de savane comme de forêt, peuvent exister des bois sacrés ou des plantations de manguiers très favorables aux glossines : ce sont donc des sites de transmission potentiels.

Période de transmission
La transmission de la maladie du sommeil n'a pas de caractère saisonnier au sens climatique ; elle dépend surtout des activités humaines.
En savane, le pic de transmission qui n'a pas été mesuré mais déduit des observations se situe en saison chaude et sèche, quand l'homme, les animaux et les glossines ont tendance à se concentrer près de l'eau. En saison des pluies, les femmes ont moins besoin de se rendre au point d'eau, les crues dissuadent les enfants de se baigner, les antilopes et glossines sont plus dispersées.
En forêt, la période la plus dangereuse pour l'homme dépendra de la nature de ses pratiques agricoles. Elle se situera au moment des gros travaux dans les plantations (désherbage, récolte) ou au moment de la mise en culture des rizières. Les seules exceptions sont le village, le campement ou le point d'eau : la transmission peut s'y faire toute l'année puisque la présence constante de l'homme et/ou de ses animaux a fidélisé les glossines.

 Mode de contamination
On a coutume de dire que la maladie du sommeil est la maladie des travailleurs. Ce dicton n'est pas totalement vrai.
Il est exact dans le sens où, lorsque le paysan travaille dans sa rizière ou dans sa plantation, il court un risque élevé en fréquentant un gîte à tsé-tsé. Il se vérifie également avec les pêcheurs en pirogue ou les femmes qui lavent le linge ou puisent de l'eau. Il est encore vrai pour tous les commerçants ambulants qui se déplacent de village en village ou de campement en campement.
Mais le nombre d'enfants en bas âge, atteints de THA, prouve que d'autres circonstances permettent la contamination : le nourrisson au dos de sa mère peut être piqué par une glossine, parfois la même que celle qui tente de piquer la mère ; tout comme l'enfant qui dort à l'ombre pendant que sa mère travaille. Il en est de même pour les jeunes qui vont se distraire en pêchant ou en se baignant. Les touristes étrangers, comme tous les voyageurs africains, peuvent contracter la maladie.
Certaines traditions, certaines coutumes, favorisent aussi la transmission. Dans certains endroits, la toilette se fait au ruisseau, avant le crépuscule (les tsé-tsé sont donc encore actives), et non dans des douches à l'intérieur de la concession familiale : le risque y est évidemment plus important. Dans certains villages, la population se déplace régulièrement d'un village à l'autre pour des raisons diverses et, ce faisant, traverse des cours d'eau qui sont des gîtes à glossines.
Il ne faut pas oublier les trajets quotidiens, effectués par les enfants pour se rendre à l'école, à travers des zones à haut risque.
Enfin, les populations obligées de fuir leur région, à cause de troubles politico-ethniques, pénètrent souvent des zones endémiques. Leur vulnérabilité, immunitaire notamment, est un facteur de risque supplémentaire et aggravant [53].

 Contamination familiale
Il est fréquent de découvrir, à l'intérieur d'une même famille, plusieurs malades: le mari et sa femme, parfois avec un ou plusieurs enfants trypanosomés.
Tous les membres d'une même famille, habitant sous le même toit, ont des activités agricoles ou ménagères communes. Aussi, fréquentant les mêmes lieux, ils rencontrent les mêmes glossines et courent un risque de contamination très voisin.
Ce mode de contamination peut se généraliser à tout un groupe de familles, parfois même à tout un groupe ethnique. Dans les régions à fort taux d'immigration, les familles immigrées ont tendance à se regrouper géographiquement et à fréquenter ensemble les mêmes sites à risque ou à effectuer ensemble des travaux collectifs : la transmission peut donc se faire très rapidement dans un même groupe.

 Contamination en milieu urbain
La maladie du sommeil découverte en milieu urbain n'est pas un phénomène nouveau. Des capitales comme Bamako, Brazzaville ou Ouagadougou ont abrité des gîtes à tsé-tsé péri-urbains mais aussi intra-urbains. Généralement de taille restreinte, ces gîtes étaient néanmoins à l'origine de très nombreux cas.
Dans plusieurs capitales ou villes de moyenne importance, le nombre de cas dépistés intra-muros semble en augmentation constante. Il peut s'agir aussi bien d'importation de cas que d'une transmission locale.
De nombreux malades issus du milieu rural l'ont fui soit pour des raisons économiques, soit à cause d'instabilités civiles ou militaires. Par ailleurs, l'extension brutale et souvent anarchique des villes entraîne l'inclusion de gîtes de tsé-tsé auparavant en zone rurale. L’arrivée de malades en ville facilite la transmission qui peut survenir dans les faubourgs où l'installation des hommes est précaire et où les citadins se rendent pour faire quelques cultures d'appoint.
Le problème de la maladie du sommeil en zone urbaine ne se situe pas tant au niveau de la compréhension de l'épidémiologie, relativement simple, qu'à celui de la lutte.

La ville est un milieu complexe ou la taille des populations, la diversité humaine et l'absence de cohésion sociale (à la différence des villages) sont autant d'obstacles à l'organisation et à l'efficacité de campagnes de dépistage et de contrôle.